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Plus difficiles, les enfants d’aujourd’hui?

Qu’un enfant se montre turbulent de nos jours, et il se retrouve vite étiqueté « difficile », voire « hyperactif »… Si le phénomène semble se répandre, qu’en est-il vraiment ? Quand consulter ? Comment réagir ? Carine Anselme a enquêté. Voici quelques pistes pour répondre aux questionnements des parents.

Scène ordinaire au supermarché. Titouan, frimousse d’ange et 5 ans au compteur, court, touche à tout et remplit le caddy. Vu de l’extérieur, la scène prête à sourire… mais on remarque vite que le garçonnet semble muré dans une spirale frénétique. Sourd aux remontrances de Mariana, sa maman, il pousse le bouchon toujours plus loin, sous le regard noir des clients. Jusqu’à l’explosion, quand sa mère, exaspérée, le gronde haut et fort. Et là, notre bambin de se transformer en « Hulk », haut comme trois pommes : il crie, pleure, (se) tape et jette par terre ce qui se trouve à sa portée. « En tant que parents, nous nous sentons de plus en plus impuissants. Nous avons tout testé : le dialogue, les colères, le coin, et même le chantage. Rien ne marche ! Nous sommes à bout et surtout inquiets, d’autant qu’il agit aussi comme un tyran à l’école. Ça nous a décidés à aller voir un pédopsychiatre », partage cette maman, qui reconnaît que ces crises mettent à mal son couple. De plus en plus de parents avouent avoir peur de leurs enfants, de leurs réactions. Jusqu’à les faire douter de leur capacité à gérer la parentalité. Comme l’écrit si bien Zep, le papa symbolique du célèbre Titeuf, en préface au livre d’Isabelle Roskam dédié aux enfants difficiles¹ : « Les enfants ont un super pouvoir : ils entendent ce qu’on ne leur dit pas. Instinctivement, ils vont nous emmener dans nos zones de fragilité… nous mettre face à nos contradictions, nous renvoyer dans les cordes de notre propre enfance. »

Des recherches pour comprendre et agir

En famille, en rue ou en visite, nous avons tous été confrontés à ce genre de scènes qui semblent « out of control »… Les comportements d’agitation, d’impulsivité, d’agressivité, d’opposition, de provocation et de désobéissance (des comportements difficiles dits « externalisés » ; dirigés vers l’extérieur, vers autrui, à la différence de la dépression et du repli sur soi) semblent de plus en plus fréquents chez les jeunes enfants, et déconcertent parents, enseignants et, au-delà, la société tout entière. « C’est le motif principal invoqué dans nos consultations », souligne Isabelle Roskam, psychologue clinicienne, spécialiste de la petite enfance et de sa prise en charge. Professeur de psychologie, cette dernière dirige une équipe de recherche à l’Université Catholique de Louvain (UCL). La fréquence de cette plainte, couplée au désarroi total des parents, l’ont incitée, avec une équipe de chercheurs et de cliniciens de l’UCL, à mettre en route, dès 2004, des recherches d’ampleur, menées auprès de 120 enfants « difficiles » de 3 à 5 ans (et leur famille) venus en consultation, et auprès de 300 enfants témoins sans difficulté comportementale avérée (pour avoir des points de comparaison), recrutés avec l’aide des écoles. « Ce programme de recherche H2M Children (pour Hard-to-Manage Children ; « Enfants difficiles à gérer »), mené initialement durant trois années, ambitionnait de comprendre le développement des comportements difficiles chez les jeunes enfants, les causes et leur traitement », explique Isabelle Roskam, dont l’ouvrage¹ rend compte des résultats de ces recherches. S’il existait en effet pas mal d’études sur les enfants plus âgés, on savait encore peu de choses sur les tout-petits souffrant de troubles du comportement². L’idée sous-jacente était d’évaluer le phénomène (les facteurs individuels, familiaux, environnementaux), mais aussi de ne pas stigmatiser inutilement les enfants –  « observer plutôt que diagnostiquer » – et d’apporter la meilleure prise en charge possible, afin d’éviter des conséquences familiales et sociales pouvant s’avérer dramatiques.

Simple petit diable ou vrai caïd ?

La frontière est parfois floue… Et éminemment culturelle, comme le souligne Isabelle Roskam dans son livre¹. De retour de vacances,  j’ai ainsi voyagé des heures durant à côté d’une famille originaire des Émirats arabes unis. Si la fillette d’une dizaine d’années était sage comme une image, le garçon, tout juste sept ans, était un vrai tyran qui interpellait sans cesse les hôtesses pour exiger des choses abracadabrantes (notamment de l’eau, en plein atterrissage !). La mère abondait dans son sens et appuyait chacune de ses demandes. Si son comportement d’enfant-roi semblait tout à fait adéquat culturellement (les hôtesses semblaient d’ailleurs habituées), pour nos standards, le seuil de tolérance était largement dépassé ! Dans la culture occidentale, les exigences et les attentes vis-à-vis de l’enfant sont en effet différentes… mais souvent contradictoires. Un bambin turbulent peut vite, de nos jours, se retrouver catalogué « difficile », voire « hyperactif », à tort ou à raison. La pression s’avère incroyablement forte, tant notre société cultive une vision idéalisée de l’enfant et de la parentalité, avec de nombreuses croyances associées. « Pour correspondre aux valeurs dominantes, l’enfant doit être autonome, dynamique, créatif, avec du tempérament, afin de réussir dans la vie… mais on voudrait aussi qu’il soit calme, attentif, centré ! Son rôle symbolique a évolué : il occupe une place centrale dans la famille, dans la société, aussi n’ose-t-on plus le frustrer, ni jouer au gendarme avec lui, de peur de perdre son amour. Alors que toute mon expérience montre que l’enfant a besoin et aime même être cadré  Assez naturellement, l’enfant se révèle donc plus exigeant, plus difficile ; il s’engouffre dans la brèche qu’on lui a ouverte », fait remarquer Isabelle Roskam. Qu’il vienne à se montrer insupportable, et c’est un constat d’échec terrible à digérer pour ces parents qui ont « tout fait pour lui ». Ces injonctions pèsent lourd sur les épaules de l’enfant, investi d’une mission impossible, mais aussi des parents et des enseignants, prompts à se renvoyer la balle question pression et responsabilité. « On dirait qu’actuellement parents et enseignants n’ont plus le droit à l’échec ! Si l’enfant est difficile, ils ressentent une culpabilité énorme de ne pas parvenir à accomplir au mieux leur mission éducative et pédagogique. Or, j’insiste, personne n’est entièrement responsable : le problème des enfants « difficiles » est complexe, multifactoriel. De nombreuses données nous échappent. » Il n’est donc pas « mal élevé », pour autant. Il suffit de voir dans certaines fratries : des enfants sans problème peuvent côtoyer un frère, une sœur, présentant des comportements difficiles. L’occasion également de démonter un cliché qui voudrait que l’on trouve plus d’enfants difficiles dans les milieux défavorisés. Si le phénomène est difficilement quantifiable, Isabelle Roskam souligne que c’est avant tout dans les milieux favorisés que les attentes sont les plus fortes. Les parents, hyper investis, soucieux que leur descendance accède au même statut social qu’eux, vont favoriser un tempérament affirmé… que les enfants vont s’empresser d’actualiser dans leur comportement ! « Dans les milieux plus défavorisés, la valeur dominante est plutôt l’obéissance. En lien avec leur réalité sociale, les parents vont faire valoir que pour avoir une place dans la société et un emploi, il est important d’accepter ce que demande le « supérieur ». Aussi, les troubles du comportement, s’il y en a, vont-ils se développer autrement. En raison de certaines difficultés, comme le stress financier, la parentalité est plus compliquée. Les parents auront peut-être un comportement moins soutenant vis-à-vis de l’enfant. » Les mécanismes en jeu sont donc clairement différents.

Plus nombreux qu’avant ?

Les études épidémiologiques rapportent que 25 à 40 % des enfants en âge d’école maternelle présenteraient à un moment ou un autre des comportements difficiles, tandis que 7 à 15 % d’entre eux présenteraient des difficultés de niveau modéré à sévère. Lors de ses recherches, l’équipe du projet H2M a rencontré de nombreux enseignants belges : tous disent avoir au moins un ou deux enfants difficiles à gérer par classe. Délicat, cependant, d’en tirer des conclusions sur l’évolution réelle du phénomène… Isabelle Roskam relève le fait que les diagnostics sont plus précis aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Si l’on entend aussi de plus en plus parler d’hyperactivité, la psychologue fait remarquer, non sans une pointe d’ironie, qu’on n’évoque pas tellement le sujet en Afrique, où les enfants doivent parfois parcourir 10 km pour aller à l’école… « Dans notre société, il y a eu un changement de cadre et de mode de vie. Nous passons la majorité du temps assis. Au vu de la taille des habitations urbaines et des emplois du temps des parents, on a tout intérêt à ce que les enfants soient calmes ! De même, la pression est terrible pour qu’ils réussissent leurs études, gage d’une future insertion socio-professionnelle. Dès le plus jeune âge, les enfants doivent se montrer concentrés et appliqués ; ce qui fait de l’hyperactivité l’un des troubles les plus gênants pour se conformer à cet idéal de réussite scolaire. Il y a donc une adéquation entre les caractéristiques d’une société et les troubles répertoriés. » Peut-on aussi incriminer les écrans, souvent pointés du doigt ? « Soyons clairs, les écrans ne provoquent pas directement de troubles du comportement. On ne crée pas des enfants hyperactifs en les laissant jouer sur des tablettes, tout comme un enfant facile ne deviendra pas difficile parce qu’il reste sur son écran ; différents facteurs interviennent dans ces troubles, dont une base génétique. Le problème, c’est quand on ne fait que ça ! L’enfant en bas âge a besoin de jeux symboliques (dinette, etc.) qui vont travailler au développement moteur, cognitif et social. » Bien sûr, l’amalgame entre écrans et comportements difficiles peut être facile à faire, car la tentation est grande, pour les parents, de laisser l’enfant insupportable connecté à une tablette, afin d’avoir la paix…  «Le problème, dans ce cas, n’est pas forcément l’écran, mais le cadre général qui n’est pas très structuré, ni structurant», note Isabelle Roskam.

Quand s’alarmer ?

Face à un jeune enfant au comportement difficile, faut-il prendre des mesures le plus tôt possible ou, au contraire, lui laisser le temps de la maturation ? « Je suis partagée », souligne Isabelle Roskam, prudente. Selon elle, les deux attitudes se défendent, mais présentent chacune des risques d’excès : la dérive sécuritaire dans le premier cas, le laisser-aller dans le second. L’écueil à éviter étant qu’un diagnostic précoce ne vienne apposer une étiquette indélébile d’ «enfant à problème», qui influerait négativement sur l’estime de soi, l’apprentissage, les relations… et sur l’avenir de l’enfant, tout court. Cependant, il ne faut pas banaliser les troubles du comportement, source de souffrance pour l’entourage, mais aussi pour l’enfant qui se sent pris dans une spirale qui le dépasse et dont il ne sait pas comment sortir. S’il n’existe pas de frontière nette entre un comportement normal et un comportement pathologique, Isabelle Roskam conseille toutefois de se poser une question simple : « Est-ce qu’autour de cet enfant tout le monde a l’air dépassé ? Si l’enfant dysfonctionne où qu’il soit (en famille, à l’école, en stage, chez les copains), c’est qu’il n’a pas les ressources nécessaires pour s’ajuster aux exigences de ses divers environnements. » Mieux vaut, dans ce cas, consulter un spécialiste de la petite enfance. Si l’enfant, a contrario, se révèle difficile à gérer dans un seul cadre (à la maison, à l’école), il démontre qu’il peut s’adapter dans certaines circonstances. « Cette flexibilité est un bon signe pour son évolution future », note Isabelle Roskam.

Comment agir ?

Généralement, quand les parents consultent, c’est qu’ils sont à bout… et en demande expresse d’une solution miracle, quitte à passer par la solution médicamenteuse. On parle ainsi beaucoup de la fameuse Rilatine, prescrite contre l’hyperactivité et dont l’usage, de plus en plus répandu, est controversé. Isabelle Roskam se dit clairement contre l’usage du médicament avant l’âge de 7/8 ans : « Il y a tant de choses qui doivent encore se développer sur le plan comportemental ! Après, je ne suis pas contre le médicament pour désamorcer les situations d’urgence et améliorer les capacités d’attention, mais c’est un emplâtre sur une jambe de bois, pas un traitement en soi. À côté, il est essentiel de travailler à long terme sur d’autres plans, selon les besoins de chaque enfant, avec des psychomotriciens, des neuropsychologues, des orthophonistes ou des psychothérapeutes. » Évidemment, cela demande plus de temps et d’implication qu’un médicament et il y a aussi bien des aides avec les médecines alternatives qui doivent être utilisés avant de recourir à la prescription allopathique ! Or, notre société a tendance à vouloir tout, tout de suite… S’il s’avère essentiel d’associer les parents – afin de déconstruire certaines croyances et construire de nouvelles bases pour accompagner le développement de l’enfant -, il faut aussi réaliser qu’il n’y a pas de parentalité idéale. La rencontre avec un enfant est toujours singulière, et fonction du tempérament de chacun. Quoi qu’il en soit, parents et enseignants sont en première ligne pour venir en aide à l’enfant : pour stimuler son développement, lui mettre des balises et des limites, l’encourager sans se décourager. Mais parents et enseignants doivent aussi prioritairement « prendre soin d’eux-mêmes, soigner leur estime de soi et constituer un team pour aider efficacement l’enfant », insiste Isabelle Roskam. Et de conclure : « Un enfant difficile n’est pas un enfant malade ; il n’y a donc pas de « traitement » infaillible, ni de solutions toutes prêtes. » L’important est de garder espoir pour enclencher un cercle vertueux. L’enfance n’est pas un arrêt sur image : le tout-petit d’aujourd’hui deviendra le grand de demain. Laissons-lui aussi le temps et l’opportunité de grandir et d’évoluer, sans le stigmatiser.

2. Les enfants présentant des troubles envahissants du développement, des retards sévères de langage, un retard intellectuel ou encore des troubles neurologiques ont été exclus de l’échantillon.

POUR ALLER PLUS LOIN
1. À lire : Mon enfant est insupportable ! Comprendre les enfants difficiles, Isabelle Roskam, Préface de Zep (Mardaga, 2013). Outre cet ouvrage grand public, Isabelle Roskam a dirigé la publication d’un manuel à destination des psys : Les enfants difficiles (3 – 8 ans), Évaluation, mesure, diagnostic (Mardaga, 2011).

 

Carine ANSELME

« Le but définit le voyage. Ose chercher un horizon plus vaste. C’est à toi de tracer l’itinéraire de ton voyage : il aura l’amplitude de ton désir. » (Schwaller de Lubicz)

Après avoir aiguisé son art journalistique en qualité de rédactrice en chef de divers magazines belges, Carine Anselme décide un jour de ne plus tremper sa plume que dans ce qui la touche au plus profond de son être et qu’elle rassemble sous le vocable « écologie humaine ».

De « Psychologies magazine » (édition belge) à « Bioinfo », en passant par « Gael », « Nest » ou encore « Terre Sauvage », elle est devenue une journaliste incontournable sur tous les sujets qui touchent aux médecines alternatives, à la psychologie, au bien-être, à la spiritualité, l’écologie, le développement durable…

Reporter de terrain, elle passe d’une retraite solitaire dans une cabane nichée au fin fond des Pyrénées à un sesshin zen, d’une séance d’équi-coaching à un stage de yoga du rire, d’une marche dans le désert à un jeûne en Ardennes, d’un reportage au long cours sur le statut de la femme au Maroc à l’exploration photo des lieux de calme au cœur des villes, d’un stage de cuisine énergétique à un test des nouveaux restos bio…

Elle parcourt le monde et ses contradictions pour en rapporter des enquêtes, des portraits, des dossiers qui donnent envie, font réfléchir, informent, aiguisent la curiosité et le désir de faire confiance à l’inconnu et à la découverte.

Quand elle n’écrit pas, elle organise des journées et voyages de ressourcement, comme autant de temps suspendus à la recherche d’un bien-être intérieur.

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