À esprit libre, univers libre. (Taisen Deshimaru)
Et si, le temps d’une longue (courte !) journée de méditation zen, nous allions expérimenter, ressentir, incarner, partager le vécu d’« être enraciné dans le ventre, libre dans la tête, habité dans le cœur* »… Déjà, c’est arrêter la course contre la montre. Se poser plusieurs heures d’affilée (une victoire !). Goûter l’infinie texture du présent. Tenter de lâcher prise, et arrêter le petit vélo du mental… Se rendre compte que c’est horriblement difficile ! Puis, oublier tout ça. Pour « être ». Pleinement, consciemment, infiniment. Reportage en zazen.
« Si quelqu’un demande ce qu’est le vrai Zen, il n’est pas nécessaire que vous ouvriez la bouche pour l’expliquer. Exposez tous les aspects de votre posture de zazen. Alors le vent du printemps soufflera et fera éclore la merveilleuse fleur du prunier », affirmait Daichi Sokei. Tant il est vrai que la clé du Zen – pour résumer succinctement, Voie née en Chine au 6ème siècle, de la rencontre du bouddhisme indien et du taoïsme, avant de se répandre au Japon dès le 12ème siècle – se trouve concentrée dans la pratique de zazen ; l’assise méditative juste.
Voie d’accès royale à la paix et la liberté. Zen est zazen… Soit « simplement » (tout est relatif !) s’asseoir sur un zafu (coussin de méditation) : zen signifie comprendre l’essence de l’univers et za, s’asseoir sans bouger, « comme une montagne ». Mais cette posture n’est pas là uniquement pour la forme ! Dôgen disait : « Si les postures sont correctes, le corps et l’esprit retrouvent leur condition normale » (voir également encadré Méditation et santé). C’est difficile à admettre pour nos esprits occidentaux, avides de connaissances, mais avec le Zen il s’agit moins de comprendre quelque chose du point de vue intellectuel ou même philosophique, que d’expérimenter à travers le corps une attitude juste. Un être juste. En interrelation avec l’environnement. L’univers.
Devenir intime avec soi-même
Sesshin est le cœur du Zen. Un mini retrait du monde, d’un à plusieurs jours, permettant d’entrer plus profondément dans la pratique de zazen. Afin que cela rejaillisse plus intensément sur la vie de tous les jours. « Sesshin veut dire toucher l’esprit véritable, devenir intime avec soi-même, avec son propre corps et son esprit, abandonner l’égoïsme et s’harmoniser avec les autres, la nature, l’ordre cosmique », peut-on lire dans Zen. Pour en parler, le plus parlant, c’est de le vivre ! Cela fait plusieurs années que je pose la méditation au creux de mes journées, mais rarement plus de quelques minutes, au mieux une à deux heures. Difficile dans notre époque d’hyperactivité d’ouvrir ce genre de parenthèse enchantée… Alors, à la perspective de méditer une journée entière, une certaine crainte et bien des résistances viennent me chatouiller l’esprit. À voir la mine effarée et les grands cris de mes proches, je ne dois pas être la seule ! Il est vrai qu’« il n’est rien de plus terrifiant que de s’accepter totalement », pour reprendre les mots de Jung…
En pratique
C’est à Clerlande, monastère bénédictin largement ouvert au dialogue interreligieux, que je participerai à la journée de sesshin organisée mensuellement par les Voies de l’Orient. Après deux jours de soleil exubérant, la grisaille de ce petit matin forme un cocon propice. Le lieu est noyé de verdure. Nature qui participe de l’esprit de la pratique méditative, et ramène à la vraie nature des choses. En arrivant, les participants s’activent pour préparer la journée. Certains nettoient ou rangent, d’autres installent les zafus (coussins de méditation) ou les petits bancs qui les remplacent avantageusement pour ceux qui ne tiennent pas sur les coussins. Il faut savoir que le travail (ou samu) fait partie intégrante d’une sesshin. En fait, toutes les activités qui rythmeront la journée et encadreront les périodes d’assise sont le prolongement de zazen. De l’état d’esprit méditatif. En fait, rien d’abstrait dans le Zen : il consiste à se concentrer sur chaque action avec intensité, à vivre pleinement le présent.
Le moment est venu de pénétrer dans le zendô – ou salle de méditation. Serein et dépouillé. Quelques branches fleuries, rappelant le cycle des saisons et l’impermanence des choses, trônent au centre de l’espace vide autour duquel se posent les méditants. Dans ce lieu de silence, chacun entre en saluant les mains jointes (gassho), avant-bras à l’horizontale, geste de respect. Mais pas seulement : la jonction des mains harmonise les deux hémisphères cérébraux. La main droite est reliée au cerveau gauche, rationnel. La main gauche est reliée au cerveau droit, monde de l’intuition et de l’invisible. Les mains jointes en gassho réalisent l’unité entre l’ego et l’univers, le matériel et le spirituel. Il est vrai que l’on peut être déconcerté au départ par la pratique codifiée du Zen – gestes, rituels, etc. -, mais cela structure et permet à l’ego et au mental de lâcher.
Laisser passer…
Cette fois, ça y est : après quelques exercices destinés à dérouiller le corps et mobiliser l’énergie, la journée de méditation proprement dite commence et sera rythmée par les sons – du métal (bol) et du bois (deux morceaux sont frappés pour marquer l’entrée même dans la méditation). Sons qui font écho au silence et aux bruits de la nature. Les phases d’assise durent 25 minutes chaque fois, et non toute la journée comme je le craignais (ouf !). Au fil des méditations, je perds vite la notion du temps. Nous avons dû en faire 7 ou 8 en tout ; j’ai du mal à en être sûre… Ce qui m’a frappée, c’est le côté paradoxal de la perception du temps. Certaines périodes de 25 minutes m’ont semblé étonnamment courtes, d’autres interminables.
En discutant ensuite, je me rendrai compte que je ne suis pas la seule, même après des années de pratique (ça me rassure) ! « Il y a des fois où je me dis : mais alors, il le frappe son bol, oui ou non ! », m’explique en souriant une méditante de longue date. Assise en demi lotus, ma posture est ferme, je me sens bien ancrée. Mais qu’il est difficile de déposer le mental ! Je suis loin, très loin, du « penser au non penser…sans penser » ! Ce détachement de l’esprit, but ultime du Zen. En méditant, je suis encore dans le « faire », et non dans « l’être ». Ma tête est encombrée ; j’essaie de laisser passer ce qui se présente comme des nuages. Mais parfois les pensées s’accrochent, me hantent et me bousculent. Je me fixe alors sur le rythme de la respiration. Ça m’aide. Curieusement, les tensions et douleurs du corps m’offrent un bon appui, qui me permet à certains moments de lâcher prise.
Bref éclairs de calme blanc…
Mon rythme cardiaque s’apaise, ma respiration s’amplifie. Par moment, ma concentration flanche et la somnolence me guette, mais il n’y a pas de kyosaku (ou bâton d’éveil) qui permet – sur demande du méditant – de remettre l’énergie en mouvement et de rafraîchir la concentration par un coup sur l’épaule droite, puis gauche. L’énergie du groupe me soutient ! Ce que je ressens à mon endroit est étrange. Dissolution, expansion, concentration en un point rétracté ; ces impressions se succèdent et parfois se mélangent. Je fais corps avec le chant des oiseaux et les bruits de la vie : voitures (même si elles ne sont pas nombreuses !), voix dans le lointain, etc. Entre les phases d’assise, diverses pratiques. Ainsi, nous faisons kin hin (méditation marchée). Nous psalmodions des sutras. Il y a de brèves pauses de bon aloi ! Nous écoutons un texte ancien de Daito Kokushi, base de réflexion. Celui-ci résonne de manière étonnamment contemporaine. Nous échangeons : comment revenir à l’essentiel et ne pas se disperser dans nos vies archi encombrées… Comment également ne pas faire de zazen une nouvelle activité qui viendra décorer notre agenda…
Le repas, lui, débute dans le silence…qui ne dure pas (qu’il est dur pour l’humain de rester sans mot dire !). « As-tu mangé ton gruau de riz ? Oui. Alors, va laver ton bol », disait un Maître à un moine soucieux de connaître la clé du Zen : nous rangeons et faisons la vaisselle, toujours dans cette pleine conscience. L’après-midi, elle aussi, sera rythmée par diverses pratiques, dont la cérémonie du thé. J’alternerai phases d’attention accrue et moments de somnolence… Au moment de repartir, un orage éclate. En marchant dans la campagne détrempée, jamais les odeurs, les bruits et les couleurs ne m’auront parus aussi présents, aussi délicieux. Je me sens bien. Je pense à la phrase de Robert M. Pirsig : « Ce qu’il convient de faire quand on travaille sur une motocyclette, comme dans toute autre tâche, c’est cultiver la paix de l’esprit, qui ne sépare pas le moi de son environnement. Quand on y réussit, tout le reste est donné de surcroît. ». Je souris.
Méditation et santé
« Zazen et physiologie ont des rapports très profonds. La posture donne aux muscles un tonus parfait, sans tension ni relâchement, un équilibre du système nerveux (et incidemment du fonctionnement hormonal), une harmonie entre nous-mêmes et l’univers », expliquait Taisen Deshimaru. Thierry Janssen précise : « Détente et fluidité physiques s’accompagnent d’une modification des ondes produites par le cerveau. Celles-ci adoptent la fréquence alpha caractéristique des états intermédiaires entre veille et sommeil. L’activité cérébrale devient plus propice au développement de la créativité. Un nombre croissant d’effets bénéfiques de la méditation commencent à être documentés : réduction du stress, capacité de réinterpréter les événements stressants, amélioration de l’humeur. Entre autres exemples, une étude réalisée auprès de patients hypertendus ayant pratiqué la méditation durant six mois a mis en évidence une diminution de l’épaisseur de la paroi des artères carotides, suggérant une régression de l’athérosclérose secondaire à la réduction du stress provoquée par la pratique méditative ». En activant le cerveau gauche, la méditation faciliterait aussi la prise de décision. En pratiquant des tests sur des moines tibétains, des chercheurs ont démontré qu’ils avaient non seulement une meilleure immunité et forme psychique, mais qu’ils étaient également plus performants dans l’élaboration de solutions face à un problème.
À lire
- Zen, Michel Bovay, Laurent Kaltenbach, Evelyn de Smedt, éd. Albin Michel.
- Zen & arts martiaux, Taisen Deshimaru, éd. Albin Michel (coll. Spiritualités vivantes).
- Le Centre de l’Être, K. G. Dürckheim, éd. Albin Michel (coll. Spiritualités vivantes).
- Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, Robert M. Pirsig.
- Zen tout simplement, David Scott, éd. Guy Trédaniel.
- La solution intérieure, Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit, Thierry Jansen, éd. Fayard.