Vade retro, conflits! En quête d’une légitime paix intérieure, nous avons tendance à diaboliser les affrontements, consacrant beaucoup d’énergie (et de frustrations!) à les éviter ou à les refouler. Pourtant, exprimés de façon positive et gérés de manière constructive, les conflits peuvent empêcher la communication de se scléroser, afin qu’elle reste vraie et vivante. Ils représentent aussi une opportunité de s’exprimer, de se positionner et de se confronter à l’autre dans sa différence.
Bref, les conflits bien gérés aident à nourrir la relation, dans le respect mutuel et la responsabilité de chacun. Voici donc à découvrir et expérimenter un petit guide des conflits…réussis!
Et si la solution était dans le dialogue fraternel qui «consiste, pour chacun, à mettre provisoirement entre parenthèses ce qu’il est, ce qu’il pense, pour essayer de comprendre et d’apprécier positivement, même sans le partager, le point de vue de l’Autre», comme le suggérait Dominique Pire, l’instigateur de l’Université de Paix… Sans pour autant se renier, jeter des ponts par-delà les différences pour œuvrer à la paix.
Nous avons invité des spécialistes à réfléchir à la question d’une gestion constructive et positive des conflits, dans une optique de coopération et de solutions win-win (gagnant-gagnant). Ils nous ont confié de précieuses clés, dans trois sphères à «haute tension»: l’entreprise, le couple, la relation parents/enfants. La plupart de leurs conseils, même spécifiquement adressés à l’un de ces modes de relation, se recoupent et peuvent s’adapter aux autres types d’interactions relationnelles. Sans oublier l’amitié, les liens transgénérationnels, voire les relations de voisinage ou entre citoyens, ou bien encore… les relations internationales… !!
Nous avons aussi testé l’AïkiCom, un savoureux mélange d’art martial japonais non violent et de techniques de communication au service d’une saine gestion des conflits. Passionnant !
Nathalie Alsteen est Coach, formatrice professionnelle et Présidente de l’European Coaching Association Belgium (ECAB, www.cap2zen.com ) et propose des outils simples à utiliser :
3 clés pour désactiver les conflits en entreprise
1. Séparer les faits de l’émotionnel. Qui fait quoi à qui? Quand un conflit se présente au travail, on touche aux nœuds émotionnels et il n’est pas toujours simple de prendre ce recul. On peut demander de l’aide pour faire cette analyse factuelle à une tierce personne, qui a un statut de neutralité, donc pas d’enjeu dans le conflit: un coach, un DRH, un médiateur, le manager d’un autre service… Même s’il est important aussi à un moment donné de pouvoir exprimer ses émotions, cette étape-ci permet de dire: voilà les faits, voilà ce qui a déjà été accompli et cherchons des solutions.
2. C-O-M-M-U-N-I-Q-U-E-R! Sans vraie communication, impossible de résoudre un conflit. Entre le questionnement, qui vise à obtenir des informations sur le contexte et la nature du problème, et la reformulation, l’écoute active de part et d’autre est indispensable. Reformuler les choses -«ce que tu viens de me dire, c’est ça…»- évite de rentrer dans les interprétations et l’interlocuteur se sent ainsi écouté. Recevoir des preuves de bonne volonté est un premier pas important pour que l’être humain se sente respecté…et qu’il respecte l’autre.
3. Exprimer rapidement ce qui ne va pas. Vous vous rappelez des timbres ou vignettes que l’on collectionnait pour avoir droit à des cadeaux? Chaque fois que nous n’osons pas exprimer un grief -par peur du conflit; en se convaincant que ce n’est pas si important; ou pour des raisons hiérarchiques- nous collons symboliquement une vignette dans notre carnet: le collègue a emprunté un dossier et ne l’a pas remis en place, un autre a déplacé des documents, un troisième a annulé une réunion sans prévenir (etc.), et voilà autant de timbres collés (principe valable aussi à la maison) Plus on en colle, plus le «cadeau» à venir sera explosif! Un jour, un collègue fera une broutille…et il va recevoir cash le cadeau de TOUS les timbres!! Bien sûr, il ne comprendra pas votre réaction. Et ce sera l’escalade. Impossible de ne pas coller du tout de «vignettes» dans le contexte de l’entreprise (qui exige quand même certaines retenues), mais plus vite vous parlerez de vos griefs, plus vous éviterez les conflits disproportionnés!
Yves-Alexandre Thalmann, psychologue et spécialiste en développement personnel, auteur de nombreux livres sur la vie de couple (Garder intact le plaisir d’être ensemble Jouvence, 2009) nous livre une part de ses secrets pour la paix des ménages :
3 clés pour apaiser les conflits de couple
1. Différencier les problèmes solubles des insolubles…et classer ces derniers. C’est la clé! John Gottman, le «pape» des études sur les couples, a démontré, en suivant les mêmes partenaires à travers le temps, que les problèmes et motifs de conflits pointés dès les débuts de leur histoire avaient tendance à rester les mêmes. Il en a déduit qu’il y avait: 1/des problèmes solubles, c’est-à-dire les soucis de la vie courante -Qui fait la vaisselle et quand? Qui décide des programmes télé? Etc. 2/des problèmes insolubles, structurels, inscrits très profondément. Ce sont de grands classiques: l’un des partenaires est introverti, l’autre extraverti; l’un est prude, l’autre libertin; l’un est famille, l’autre pas, etc. Il est arrivé à la conclusion, preuves à l’appui, que pour qu’un couple dure, il faut savoir faire la différence, s’attaquer ensuite ensemble aux problèmes solubles et ne pas toucher aux insolubles, sous peine sinon de rajouter de la souffrance à la souffrance.
2. Sortir des reproches. Dans les conflits de couple, les partenaires passent plus de temps à pointer un coupable qu’à trouver des solutions. Plutôt que de se rejeter la faute, mieux vaut recentrer les discussions sur la demande: Tu me reproches ça? OK, qu’est-ce que tu attends de moi? Au partenaire, alors, de formuler une demande concrète et acceptable pour l’autre, faisant état de ses besoins. Une démarche responsabilisante.
3. Jardiner l’amour. Afin d’éviter les conflits stériles qui dégradent le lien, il faut prévenir le désamour. Pour qu’une relation soit de qualité, il est plus important d’entretenir l’esprit des techniques communicationnelles (comme la Communication Non Violente), plutôt que de les appliquer à la lettre: soit cultiver au quotidien l’écoute active, l’empathie, la bienveillance, la gratitude, etc. Des études démontrent que le respect décroît avec la proximité… Une clé serait donc de traiter son partenaire comme un invité de marque: si un invité renverse du vin sur la nappe, on s’empresse de lui dire que ce n’est rien, alors que si c’est son conjoint…
Sophie Grosjean, Evelyne Faniel et Godfrey Spencer sont à l’origine de l’ASBL Yakoudou (www.yakoudou.be) qui transmet le processus de la Communication NonViolente (CNV) et les valeurs qui y sont associées, essentiellement dans les milieux scolaires et éducatifs et nous proposent des solutions qui semblent. sur le papier… tellement évidentes :
3 clés pour désamorcer les conflits parents/enfants
1. Décrire objectivement la situation. Si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur la description de la situation qui a enclenché le conflit, comment nous entendre sur les solutions? Cherchons dès lors à la décrire sans poser aucun jugement de valeur, en nous servant uniquement de nos sens (la vue et l’ouïe), comme le feraient une camera ou un enregistreur. Ainsi, si je dis à mon enfant «Quand je vois les trois t-shirts par terre, les 5 cannettes de coca sur ton lit et 2 paires de chaussettes sur la commode…», faits incontestables et observables par lui comme par moi, j’aurai plus de chances d’être entendu (e) que si je lui dis «Ta chambre est un véritable b….», la notion de désordre étant relative. Se mettre d’accord sur les faits permet d’entamer le dialogue sur des bases solides et constructives. C’est le premier point de notre désaccord sur lequel nous pouvons être d’accord!
2. Oser partager mon ressenti. Apprenons à axer notre communication sur ce qui nous relie, plutôt que sur ce qui nous sépare! En tant qu’êtres humains, dès l’enfance, nous avons les mêmes besoins: d’amour, de reconnaissance, de paix, d’harmonie, de sécurité, de partage, de soutien, … Si je parle de mon ressenti et de mes besoins, j’évite de rendre l’autre responsable de ce que je vis. Reprenant l’exemple ci-dessus, je peux exprimer à mon enfant que «Je me sens découragée, parce que j’ai besoin d’ordre et de collaboration».
3. Formuler des demandes plutôt que des exigences. Pour nous prémunir d’un «Non!» éventuel, nous passons le plus clair de notre temps à exiger, plutôt qu’à demander. Notre interlocuteur n’a alors que deux alternatives: soit il se soumet, soit il se rebelle. On est loin de la relation gagnant-gagnant dont nous rêvons pour résoudre nos conflits! Veiller à formuler des demandes négociables, qui laissent la possibilité à l’interlocuteur de proposer d’autres alternatives: dans notre exemple, mon enfant peut dire non (ou pire…) si je l’oblige sur le champ à ranger sa chambre. Derrière son refus, on peut arriver à entendre son besoin de détente ou d’autonomie. Il s’agit donc d’envisager ensemble d’autres stratégies pour répondre aux mêmes besoins. L’alternative sera peut-être ici de ranger ultérieurement sa chambre, ou qu’il fasse autre chose dans la maison (débarrasser le lave-vaisselle…) pour répondre à mon besoin de coopération.
Christian Vanhenten a créée AïkiCom, organise des stages de découverte (adultes, ados), des formations pour particuliers et entreprises, des conférences (www.aikicom.eu) et propose, à l’image du pays du soleil levant, de gérer le conflit par une voie… du milieu :
Le principe. L’AïkiCom mêle le meilleur de l’Aïkido, art martial japonais non-violent, et des techniques de communication: Programmation Neurolinguistique (PNL), Communication NonViolente (CNV), Analyse Transactionnelle… Cette approche part du principe que faire la paix, en soi et autour de soi, c’est aussi affronter les conflits inhérents à la vie et la rencontre avec «l’autre» (partenaire, collègues, famille…). Aux côtés de la fuite ou de l’agression, se profile une troisième voie, de synergie, qui respecte nos différences et transforme l’expérience du conflit en espace de dialogue, de coopération et de renouveau. La vie n’est plus une lutte, mais une co-création constante.
Testé pour vous. «J’ai créé l’AïkiCom pour transmettre la qualité de la pratique de l’Aïkido, sans avoir à passer 15 ans sur les tatamis», explique Christian Vanhenten, enseignant d’Aïkido, formé à diverses techniques de communication. Une manière aussi d’ancrer corporellement les principes d’une communication non violente. «Ce que nous apprenons mentalement (stages, lectures) n’est pas accessible dans les conflits chargés émotionnellement, qui nous coupent de nos ressources. Alors que ce qui passe par le corps, s’inscrit. Il devient notre allié pour gérer le stress et les émotions, pour se recentrer et re-contacter nos capacités cognitives dans le dialogue, sans écraser l’autre…et sans s’écraser!»
Nous passons de la parole aux actes, avec divers exercices inspirés de l’Aïkido. Simplement avancer en s’affirmant, en «tranchant» avec le bras devant soi, en dit déjà long: ce bras trop tendu qui trahit l’émotion, cette impression de reculer en faisant ces pas en avant, ce déséquilibre, offrent autant d’instantanés de ma façon d’affronter les conflits…ou plutôt de les fuir.
Christian Vanhenten nous apprend que la juste tension se trouve à l’articulation de la détente et de l’action «martiale», du yin et du yang. «En cas de désaccord, l’autre attend que vous réagissiez ‘sous tension’. Si vous relâchez les crispations en trouvant une détente, une souplesse et un autre équilibre dans votre centre, vous rompez la chaîne, ouvrant sur de nouvelles perspectives. Votre adversaire devient alors un partenaire.»
Entre ciel et terre, nous alignons 3 centres: la tête (le mental), l’émotionnel (le cœur) et le hara (dans l’abdomen, notre «ancre»). Si je suis présent(e) à moi-même, en alignant mon objectif, mes valeurs et la réalité du terrain, tout en m’enracinant, je peux m’affirmer sans entrer dans l’opposition ni la fuite. J’en fais l’expérience en travaillant à deux, avec le sabre en bois (boken). La bienveillance ne suffit pas: comme en plein conflit, nous entrons en mode survie. «Face à la frappe, comme au mot méchant, il s’agit de ‘sauver ma peau’!»
Christian Vanhenten nous invite à utiliser le corps comme un capteur sensible pour se mettre à «l’écoute», de soi et de l’autre. Je constate que je me positionne trop loin de ma partenaire/adversaire, limitant mes possibilités d’action face à la frappe du sabre. «À force de garder la distance, on croit pouvoir éviter le conflit («je n’ai pas envie d’attaquer», «je n’ai pas le droit»…), mais si on n’entre pas directement dans le cœur du problème, on encaisse, on encaisse, jusqu’à…»
En étant plus proche de l’autre, je peux aussi aiguiser mes capteurs et me connecter à son centre (hara), pour (r)établir la communication et bouger en me synchronisant sur ses mouvements. Un pas sur le côté…et c’est une autre perspective qui se dessine. Ce n’est pas abstrait: «j’incarne» cette réalité!
Et après ? L’ancrage de ces principes dans le corps inspire un positionnement dans la vie: je peux rester centrée sur mes objectifs, sans entrer dans l’opposition.
Une affirmation dans l’ouverture et le respect (de soi et de l’autre), qui donne une vision coopérative du monde.
Carine Anselme & Eve François