Prenez l’exemple d’un bébé nageur : si on le met à l’eau, son réflexe de survie le fera nager comme un petit chien, mais il ne va pas faire la brasse ou le crawl, tant qu’on ne lui aura pas appris. C’est la même chose avec l’écoute. (Christine Jansens)
Plus nous communiquons et moins nous savons écouter.
Or, l’écoute active est la base d’une communication réussie et heureuse dans tous les types de relations : parentale, amoureuse, professionnelle, amicale et interpersonnelle.
Nous vivons dans un paradoxe suprême : à l’ère du tout à la communication, nous vivons dans un monde de plus en plus individualiste et stressé, où il devient de plus en plus difficile de s’entendre, au propre comme au figuré. Rien ne nous paraît plus quotidien, plus simple et évident que d’écouter ! Et, pourtant… L’erreur vient du fait que nous envisageons l’écoute comme naturelle : « arriver à une écoute de qualité, exige une certaine compétence, une connaissance, un apprentissage », confie Christine Janssens, psychothérapeute et formatrice. Au-delà de cet apprentissage, l’écoute ne peut être véritable que si elle prend ses racines dans le cœur ; là où elle rime avec compassion et amour. Bref, l’écoute épanouissante relève « du lien que je peux créer avec l’autre », explique Christine Janssens.
Les clés de l’écoute
L’écoute n’est donc pas naturelle. En tout cas, l’écoute de qualité, dans le respect de l’autre, mais aussi de soi-même. Du simple fait déjà de la différence entre les êtres : nous ne parlons pas tous le même langage, et nous attendons tous des réponses adaptées à ce que nous sommes (ou pensons être), et à nos opinions. L’écoute profonde, c’est une quête d’une vie. Voici quelques clés pratiques pour déverrouiller la communication, et commencer « l’entraînement ». Un entraînement qui peut se révéler jubilatoire ; quelle joie de ressentir que l’on a vraiment écouté l’autre, mais aussi d’avoir été écouté, et entendu. Quoi qu’il en soit, n’oubliez jamais la phrase du renard au Petit Prince : « le langage est source de malentendus(…) on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». On n’écoute bien qu’avec le cœur, et cela se passe parfois de mots.
(Ré)apprendre à s’écouter
Comme le dit Yves Blanc (1), directeur associé au CEPIG (Centre d’Etudes de Psychologie Individuelle et de Groupe), « écoute bien ordonnée commence par soi-même ». Il s’agit du préalable indispensable pour une communication harmonieuse. Trop souvent, nous sommes tellement éloignés de ce que nous sommes vraiment, de nos véritables émotions et opinions, que le dialogue sera forcément faussé.
La société, l’éducation et les convenances nous ont appris à nous forger une apparence, à ne surtout pas dire ce que nous pensons sincèrement, et à être tellement sur la défensive – « je dois absolument faire passer cette opinion », que nous n’écoutons même pas ce que l’autre dit. Il est donc important de sentir ce qui résonne en nous, sans tricher. Bref, dire ce que nous sommes et avons vraiment envie de dire : même un sentiment de colère, bien cerné et exprimé clairement, passera mieux que s’il est réfréné en affirmant (agressivement, car on ne se sentira pas en phase) : « non, non, tout va bien ! ». L’autre ne pourra pas « entendre » ce que nous avons à lui dire : il se sentira agressé, percevra la fausseté du ton et sera lui-même sur la défensive. D’où un dialogue impossible, basé dès le départ sur un malentendu.
En outre, s’écouter avant de pouvoir écouter l’autre, exige une connaissance de soi et de ses peurs cachées. Par exemple, si j’ai peur de la maladie, et que je fais semblant de l’ignorer, si quelqu’un aborde ce thème avec moi, je vais vite changer de sujet pour me protéger. Le mot clé est authenticité : chaque fois se demander « est-ce que je suis juste avec moi-même lorsque je dis ça ? » Etre juste fait lâcher prise : on est moins sur la défensive, et plus ouvert pour écouter ce que l’autre veut dire.
Écouter, c’est prendre le temps
A l’ère du stress, il est de bon ton de ne pas avoir le temps. Or, une écoute de qualité ne se fait pas dans la précipitation. Et ce n’est pas spécialement en quantité que le temps se compte, mais bien en qualité. Combien de fois, nous nous surprenons, avant même, que l’autre ait eu le temps (c’est le cas de le dire !) d’ouvrir la bouche, à sanctionner : « je te préviens, je n’ai pas le temps ». Un schéma extrêmement courant dans la relation parents/enfants, révélateur également d’un sentiment de supériorité : « ce que je fais est forcément plus important que ce que l’autre veut me dire ».
Or, il est des personnes, qui, même si elles n’accordent que quelques secondes d’attention, sont réellement tout ouïe. Il suffit pour ça d’être présent, en pleine conscience. Alors, celui qui est écouté se sent entièrement reconnu et entendu, même s’il y a désaccord. L’écoute, c’est ici et maintenant (sans penser au repas du soir, à l’échec de la veille) que cela se passe. En plus, en étant pleinement présent, ouvert et attentif, nous serons plus sensibles aux signes non-verbaux – regard, gestes, tics,… – qui révèlent, en profondeur, les émotions. C’est entendre l’autre au-delà du verbe, le recevoir sur une autre fréquence ; comme déployer des antennes, en plus des oreilles.
Evidemment, à fortiori, pour aborder un point conflictuel, notamment au niveau du couple, il faut du temps devant soi : cela ne se fait pas le matin, entre la tartine et le départ au bureau, ou sur le coin d’une table. Combien de conversations tournent court parce que le moment était mal choisi. Cela demande aussi d’écouter les rythmes de l’autre et les moments où il est le plus disponible. Il faut savoir aussi que l’homme et la femme ne sont pas égaux devant l’écoute. Si le premier a souvent besoin de se retrancher dans sa « grotte », et supporte difficilement que sa dulcinée vienne le harceler de questions et le noyer de paroles, la deuxième a souvent l’impression de ne jamais être écoutée et entendue par son compagnon de route. Un différend vieux comme le monde !
Respect !
Le respect est central dans l’écoute. Ce respect épouse différentes formes, mais vise toujours à accepter l’autre là où il en est, au moment où il nous parle : accepter ses émotions, son rythme, ses limites. Mais, aussi, à s’accepter soi-même, là où nous en sommes également. Tout d’abord, l’écoute commence par une ouverture d’esprit, et surtout du cœur. Tolérance et non jugement sont indispensables : en écoutant, il faut être prêt à tout entendre, sans a priori.
Combien de fois posons-nous des questions, en préfigurant ce que nous aimerions que l’autre nous réponde…Et, évidemment, lorsque sa réponse ne va pas dans le sens voulu, nous sommes désemparés, voire furieux ! Ce qui ne veut absolument pas dire qu’il faille être d’accord avec tout ce qui est dit ! Au contraire ; c’est là que commence le respect de soi et de l’autre. Mais, il faut absolument éviter – et, là, que le chemin est difficile – d’interrompre son interlocuteur. Toujours le laisser parler jusqu’au bout, et lui signifier notre accord, ou en cas de désaccord, en lui disant calmement, par exemple : « je ne te suis pas dans ce que tu dis » ou encore «je t’entends bien, mais moi, personnellement, je vois les choses différemment », et exposer son point de vue sans vindicte. S’il faut s’exprimer en son nom propre – « je », et non « on », ou « nous » – le respect dans l’écoute, c’est aussi…
Éviter de toujours tout ramener à soi.
Écouter, c’est se mettre en retrait, tout en étant présent. Souvent, lorsqu’une personne se confie, elle cherche simplement une écoute, c’est-à-dire une oreille qui lui renverra l’écho de ce qu’elle dit, de ce qu’elle y dépose. On peut reformuler ce qu’elle nous dit, simplement, pour lui signifier notre intérêt. Or, très souvent, nous nous projetons en ramenant à nous : « moi, aussi, j’ai connu quelqu’un qui…. », et nous partons dans notre propre histoire, niant, en quelque sorte, celle de l’autre. Très souvent, on s’écoute parler et, on aime à le faire. De même, il est horripilant d’avoir quelqu’un en face de soi qui sait toujours tout : « oui, oui, je sais,… ».
La juste distance
Ecouter, c’est savoir discerner et garder la bonne distance. Le bouddhisme parlerait de compassion, Carl Rogers (2) évoque, lui, l’empathie : c’est-à-dire qu’il faut pouvoir entrer dans le monde affectif de l’autre, ressentir ce qu’il ressent, mais sans s’y noyer, sans prendre les émotions de l’autre pour siennes. Ce que l’autre ressent ne nous appartient pas ; mais nous y sommes sensibles et nous « l’écoutons », nous « l’entendons », pleinement.
De même, la bonne distance exclut la pitié : l’autre n’a que faire de ce sentiment dégradant. Il a juste besoin d’écoute. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille être indifférent et le nier dans sa souffrance, si souffrance il y a (mais c’est identique pour la joie). Rien de plus agaçant que de s’entendre dire « mais, non, tu vas aller bien », alors qu’on se sent au bord du gouffre. Par contre, il est juste de marquer son intérêt et même de se positionner à certains moments, en renvoyant l’écho de ce qui nous est confié. Dire, par exemple : « oui, j’entends ta souffrance ».
Écouter le silence
Ernest Hemingway a eu cette superbe, et terrible, phrase : « il faut trois ans à un être humain pour apprendre à parler, il lui faut cinquante ans pour apprendre à se taire ». Ecouter, c’est aussi se taire, goûter le silence, souvent plus riche que les paroles. Le silence va bien au-delà des mots : il lie directement les âmes de ceux qui se parlent sans rien dire. C’est le langage du cœur. Souvent, il effraie par sa densité : nous ne sommes pas habitués, dans notre société (au contraire des sociétés orientales), à faire silence, à accepter les signes qu’il nous tend dans la relation. En laissant de l’espace dans une conversation, les idées se clarifient. C’est souvent durant ces interstices que surgissent les idées lumineuses, les sentiments les plus profonds ; l’écoute véritable. Par le silence, deux êtres se reconnaissent. D’ailleurs, on ne fait pas silence avec n’importe qui…
L’humilité
L’écoute exige de l’humilité. Non dans le sens de s’abaisser, mais de rejoindre cette simplicité qui nous permet d’être à la bonne hauteur, et de reconnaître que chaque situation d’écoute nous transforme également. Car le merveilleux dans l’écoute, quel que soit l’interlocuteur, c’est l’enrichissement mutuel. Chacun – enfant, conjoint, parent, patron, anonyme – par ses paroles et par l’écoute que nous lui accordons, nous fait grandir.
A lire
- L’écoute, attitudes et techniques
Jean Artaud, (éditions Chronique Social) - L’écoute
Yves Blanc, (éditions Bernet-Danilo, Collection Essentialis, 1998) - Le développement de la personne
Carl Rogers, (éditions Dunod, 1968) - Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Initiation à la communication non-violente
Marshall B. Rosenberg, (éditions Syros, 1999)